Les différents états du Rhin

Remerciements

L’ensemble des textes et des explications sont tirés du magnifique ouvrage « RHIN VIVANT, Histoire du fleuve, des poissons et des hommes » écrit par monsieur Roland Carbiener, professeur honoraire de de l’Université de Strasbourg, monsieur Laurent Schmitt, géographe et hydro-géomorphologue, professeur à l’université de Strasbourg et madame Annick Schnitzler, professeur honoraire de l’université de Lorraine. La commune de Schoenau les remercie pour leur accord à utiliser une partie de leur ouvrage.

La remise à la commune d’un rare exemplaire de cette » Carte über den Lauf des Rheins » par monsieur Reinhold Hämmerle, géomètre et passionné de l’histoire du Rhin avec son partenaire français Benoît Sittler, à l’occasion d’une conférence organisée à Schoenau par le CEN Alsace, a été l’élément déterminant pour initier cette exposition permanente. La commune de Schoenau est très reconnaissante envers monsieur Hämmerle pour la remise de ce document.

 

Sommaire

I - Le Rhin glaciaire ( - 20 000 ans)

II - Le Rhin sauvage

III - Le Rhin rectifié

IV - Le Rhin canalisé

V - Le Rhin aujourd'hui et demain

 

Avec un bassin de 185000 km² et un débit moyen à son embouchure de 2200 m3/s, le Rhin se trouve en première place des fleuves d’Europe occidentale. Le segment dénommé « Rhin supérieur » s’écoule entre Bâle et Bingen (Rhénanie-Palatinat) dans le « fossé rhénan », un fossé d’effondrement d’une longueur de 300 km et d’une largeur de 30 à 40 km.

 

I - Le Rhin glaciaire ( - 20 000 ans)

Issu de l’énorme calotte glaciaire alpine qui recouvrait la quasi-totalité de la Suisse actuelle, le Rhin étalait librement ses eaux dans le fossé rhénan au cours de l’été, lors des la fonte d’une partie des glaces des Alpes. Il formait un gigantesque lit en tresses, composé d’innombrables bras, de bancs, d’îles et de terrasses s’étalant des contreforts des Vosges à ceux de la Forêt Noire. La puissance des crues transportait d’importantes quantités d’alluvions et modifiait constamment les formes fluviales.

Une nappe phréatique d’une ampleur extraordinaire

La nappe phréatique alluviale de Rhin supérieur s’est progressivement constituée au cours du Quaternaire, du fait de l’enfoncement du fossé rhénan. Les dépôts, constitués d’alluvions rhénanes de tous calibres, des argiles localisées aux gros galets, en provenance du bassin alpin, des Vosges et de la Forêt Noire, peuvent atteindre en Alsace une épaisseur maximale de 250 m, et s’y étendent sur une superficie de 3200 km². La nappe phréatique y circule dans les interstices, à une vitesse d’environ un mètre par jour près de la surface. Il s’agit d’un des plus grands réservoirs d’eau potable d’Europe occidentale (80 milliards de m3 dans l’ensemble du fossé rhénan dont 35 milliards de m3 en Alsace). Une donnée majeure dont il faut absolument tenir compte dans la gestion de l’eau, est qu’il s’agit d’eau en grande partie fossile. Elle n’est donc exploitable que sur l’infime partie du renouvellement annuel (environ 1% par an). Cette nappe phréatique est une richesse extraordinaire et nous avons le devoir de la protéger et de la maintenir au moins à son niveau actuel.

L’eau de la nappe phréatique est à une température constante toute l’année d’environ 11°C. Cette nappe est aussi bactériologiquement pure, dépourvue de matière organique, et bien oxygénée en surface.

Il est important de noter que la nappe phréatique est un facteur essentiel des paysages de la plaine rhénane, car son toit se situe à faible profondeur par rapport à la surface topographique (entre 0,5 et 2 m), expliquant la présence des zones humides du Grand Ried.              

 

II - Le Rhin sauvage

Depuis la fin de la dernière glaciation il y a 12000 ans, le Rhin a façonné son cours librement en une multitude de bras, et ce, jusqu’aux aménagements lourds du début du XIX siècle. A la hauteur de la carte présente, de Bâle à Lauterbourg, le profil du Rhin s’est réajusté longitudinalement en réponse à plusieurs facteurs (moins de flux d’eau et de sédiments avec le réchauffement climatique, la formation des lacs alpins qui retiennent alors 60% des sédiments, divers mouvements tectoniques verticaux).

En conséquence le Rhin s’est ainsi progressivement incisé sur les tronçons Bâle- Breisach/Marckolsheim (jusqu’à 25 m !) et Strasbourg – Lauterbourg (jusqu’à 2 – 3 m), et a eu tendance à se maintenir, voire à s’exhausser légèrement sur le tronçon Breisach/Marckolsheim – Strasbourg (entre 0,5 à 1 m) notamment dans les environs de Rhinau.

 

carte - carte du rhin

Localisation de la zone d'étude dans la bordure alsacienne du fossé rhénan, réseau hydrographique de la plaine alluviale ello-rhénane et sectorisation longitudinale fondée notamment sur le style fluvial du Rhin et les héritages de la paléo-dynamique du fleuve et de l'Ill (d'après CARBIENER, 1969, 1983a; SCHMITT et alii, 2007c) 

 

Sectorisation longitudinale du Rhin et de sa plaine alluviale (d’après les études de L.SCHMITT)

L’évolution du profil en long du fleuve, son tracé en plan d’après l’étude des cartes anciennes du Rhin sauvage, et les caractères de la plaine alluviale ont amené le professeur Laurent Schmitt à proposer une sectorisation longitudinale du Rhin supérieur. Les 3 premiers secteurs sont bien distincts sur cette carte représentant le Rhin encore sauvage de 1838.

Le premier secteur se situe entre Bâle et Breisach/Marckolsheim. Le fleuve entame l’immense cône de déjection de gravier de la Harth, qui s’étend surtout rive gauche (rive ouest). De pente forte, 1m/km environ, le fleuve s’y divise pour l’essentiel, en d’innombrables tresses. On l’appelle le secteur en « tresses ».

Le deuxième secteur se situe entre Breisach/Marckolsheim et Strasbourg. Les profils en long du fleuve, issus de la période glaciaire et de la formation du Rhin sauvage restent à peu près concordants, avec même une élévation de 0,5 à 1 m à hauteur de Rhinau. Le Rhin va s’y étaler plus largement (jusqu’à 7 km !), la pente devenant plus faible (autour de 0,5 m/km). Ce deuxième secteur a été défini comme celui des « tresses et des anastomoses » car les anastomoses y sont particulièrement nombreuses (encore bien visibles sur une carte infra). A ce secteur du Rhin supérieur correspond aussi, sur la plaine alluviale française, l’immense zone humide du Grand Ried d’Alsace.

Le troisième secteur se situe entre Strasbourg et Lauterbourg. En raison de l’amenuisement de la pente (0,3 à 0,4 m/km ou moins), les tresses disparaissent et les boucles des anastomoses s’élargissent progressivement pour accéder à un tracé de type méandre. Ce secteur, caractérisé par l’importance des bras latéraux profonds, calmes et larges du type « Altwasser », correspond au secteur des « anastomoses et méandres naissants ».

Le quatrième secteur est situé en aval de Lauterbourg, au-delà de la représentation de cette carte. La pente très faible (moins de 0,1 m/km) favorise les méandres, qui deviennent dominants, donnant son nom à ce secteur. Ce secteur des méandres s’étend jusqu’au massif schisteux rhénan, où le fleuve, encaissé, bordé de nombreux châteaux médiévaux, est connu de nos jours sous le nom de « Rhin romantique ».

En résumé, le Rhin sauvage présentait une diversité hydro-géomorphologique, donc d’habitats aquatiques, exceptionnelle. La structuration de l’ensemble s’organisait à la fois longitudinalement, entre Bâle et Lauterbourg, et latéralement, avec une gamme unique de bras latéraux. Cette richesse était le fruit de la dynamique géomorphologique libre du fleuve dans sa large plaine alluviale, au rythme des pulsations des crues. En l’absence d’un système de digues efficace, les crues extrêmes faisaient hélas d’importants dégâts.

 

III - Le Rhin rectifié

La « rectification » du Rhin est conçue par l’ingénieur badois Johan Gottfried TULLA (1770-1828).

Sur la carte du Rhin encore sauvage en 1838 ici représentée, figure le projet du lit mineur rectifié selon le plan de Tulla. La carte montre les nombreuses courbures du fleuve que la rectification allait recouper. Un examen minutieux de cette carte révèle qu’en 1838, certains travaux avaient déjà débuté, notamment des coupures de larges chenaux (souvent d’anciens thalwegs) par des digues transversales. A Schoenau la petite digue transversale au sud du village et le seuil d’inondation aménagé en amont du « Gestregtenarm », en font partie.

Un projet de stabilisation du Rhin est en projet depuis longtemps, notamment depuis l’annexion de l’Alsace par Louis XIV, mais le projet de rectification fut adopté le 5 avril 1840 entre la France et le grand-duché de Bade, sur la base de travaux menés par la commission de rectification du Rhin. Les travaux, gigantesques pour l’époque au regard des faibles moyens techniques alors disponibles, furent réalisés sur le tronçon Bâle-Lauterbourg entre 1842 et 1876.

Les grands objectifs de la rectification du Rhin

En plus de fixer définitivement les frontières, l’objectif majeur de la rectification était la protection des populations contre les inondations. La mobilité latérale du fleuve lors des crues, pouvait éroder les berges, creuser des nouveaux chenaux et engloutir des maisons voire des villages entiers. Un autre objectif majeur de la rectification était l’amélioration des conditions de navigation, en particulier avec la mise en place d’un chemin de halage. Il faut aussi ajouter l’objectif de développement de l’agriculture et de la sylviculture par l’assèchement de chenaux et de zones humides, permettant ainsi de gagner des surfaces fertiles. La lutte contre le paludisme est aussi un argument avancé à l’époque mais ce fléau a surtout disparu grâce à l’amélioration générale des conditions de vie et à l’usage de la quinine vers la fin du 19ème siècle.

La structure du fleuve rectifié 

Les travaux de rectification ont recoupé de très nombreux méandres et boucles de thalweg du Rhin sauvage, réduisant sa longueur de 32km sur le linéaire Bâle -Lauterbourg, soit 14%, ce qui augmenta d’autant sa pente. Le nouveau lit mineur fut stabilisé par deux digues parallèles de 200m, submersibles, pavées et renforcées par de gros moellons et fascines. Ces aménagements sont encore visibles sur la berge de Schoenau située dans la réserve naturelle. On imagine les travaux lourds pour l’établissement de ce lit mineur rectifié et l’entretien manuel de ces ouvrages. Lors des crues, les eaux passaient au-dessus de la digue de surverse pour des débits d’environ 2000 m3/s. Le Rhin inondait alors une bonne partie de son ancien lit majeur, de part et d’autre du lit mineur rectifié jusqu’aux digues des hautes eaux.

 

La délimitation du lit majeur entre les digues des hautes eaux

Pour protéger les populations des inondations, Tulla prévit un système de « digues des hautes eaux » insubmersibles, délimitant un champ d’expansion des inondations d’une largeur variable de 1 à 2 km. Lors des crues, la forêt dense alluviale était submergée par les eaux limoneuses courantes, pouvant monter jusque près de la crète de la digue des hautes eaux. Les services de surveillance étaient alors en alerte, prêts à combler des brèches éventuelles avec des fascines et des pierres stockées à intervalles réguliers tout au long de la digue dans des abris. Le spectacle du haut de cette digue, en juin-juillet, lors des crues « du Rhin des cerises », de la forêt parcourue par ces eaux chargées de limons et de sables fins calcaires était familier aux riverains. C’était aussi la promesse pour les nombreux pêcheurs de futures pêches abondantes et variées lors du retrait des eaux concentrant les poissons dans le réseau des bras permanents.

Ces digues sont encore fonctionnelles du côté allemand. Du côté alsacien le tronçon ici présent est bien préservé sur 20 km entre le ban de Sundhouse et le village d’Artzenheim. Beaucoup d’autres secteurs de digue ont disparu avec la canalisation du Rhin.

Les impacts hydro-géomorphologiques de la rectification

La rectification modifia profondément le fonctionnement du Rhin supérieur. En amont de Breisach-Marckolsheim, une incision exceptionnelle du lit mineur rectifié, atteignant localement 7 m, rendit l’ancien lit majeur et les bras latéraux inaccessibles aux crues. Cette incision du Rhin provoqua l’affleurement de la barre rocheuse d’Istein, rendant ainsi la navigation impossible vers Bâle à partir de 1900. Le toit de la nappe phréatique s’étant approfondi avec l’incision du lit mineur, la totalité des bras latéraux se retrouva asséchée, provoquant un déclin piscicole drastique et la ruine de plusieurs villages de pêcheurs.

En aval de Breisach-Marckolsheim le lit mineur ne s’incisa que d’un mètre et la configuration du Rhin rectifié garantissait le maintien des inondations jusqu’aux digues des hautes eaux.

La régulation pour remédier aux impacts inattendus de la rectification sur la navigation

Après la rectification du lit mineur, le charriage des galets et graviers, puissamment amplifié par l’incision en amont de Breisach-Marckolsheim, rendit le tracé du thalweg très mobile et localement peu profond, avec d’importants bancs de gravier. Ces hauts fonds rendaient la navigation de plus en plus difficile. Il fut décidé de réduire le chenal navigable à 75m de large au minimum en installant des champs d’épis depuis les berges. Ces champs d’épis sur 2 km de long, alternativement à gauche et à droite du fleuve, provoquaient le creusement de fosses profondes où étaient localisés de puissants remous. A Schoenau, les bons nageurs de l’époque connaissaient ce danger lors des traversées du fleuve et ils y connurent quelques grosses frayeurs.  Cette technique des épis devait permettre un auto-curage du fleuve et créer un chenal unique de navigation d’au moins 2 m de profondeur. Ces travaux démarrèrent à l’aval en 1906 et prirent fin en 1939. Cependant l’entretien de ces épis dura jusqu’aux travaux de la canalisation, avec notamment la mise en place de gabions ou de « saucissons », de 8 à 10 m sur 0,9 m en grillage robuste remplis d’enrochements et galets, superposés les uns sur les autres. Là aussi les nageurs évitaient de se retrouver dans les épis et d’y remonter sur la berge car le grillage des gabions rouillait et présentait un grand risque de blessures.

L’ensemble des travaux rectification et de régulation ont créé de nombreux emplois dans les villages proches du Rhin. A Schoenau aussi plusieurs familles vivaient de ces métiers du Rhin, gérés par le service de la navigation et du Rhin (entretien des berges du fleuve et des digues des hautes eaux, des épis, des ponts).

 

IV - Le Rhin canalisé

Objectifs, structure et impacts hydro-géomorphologiques de la canalisation

Avec la régularisation les conditions de navigation s’améliorèrent grandement, hormis l’apparition de la barre d’Istein. La Suisse perdait ainsi son accès par voir d’eau à la mer du Nord, limitant son développement industriel. La solution d’un contournement local au droit de Kembs, puis jusqu’à Strasbourg avec le Grand Canal d’Alsace émergeait au début du XX siècle. Les industriels mulhousiens, conduits par René Koechlin, y adjoignirent un nouvel objectif de production hydro-électrique. L’ensemble des mesures fut inclus dans les dispositions du traité de Versailles de 1919, attribuant à la France la totalité de l’énergie hydro-électrique du Rhin supérieur.

160 km de canalisation et 10 usines hydro-électriques

Le Grand Canal d’Alsace devait comporter sur les 120 km du linéaire entre Kembs et Strasbourg huit usines hydro-électriques, assorties de paires d’écluses. La première usine, de Kembs (1932), fut la seule à être construite avant la Seconde Guerre mondiale. L’extrémité amont de l’aménagement comporte un barrage de dérivation, construit sur le Vieux-Rhin, qui détourne l’essentiel de l’écoulement dans le Grand Canal d’Alsace, jusqu’à un seuil technique de 1400m3/s. Ce n’est qu’à l’occasion des crues que le Vieux-Rhin retrouve un débit plus important.

Les usines suivantes, localisées également sur le Grand Canal d’Alsace, en aval de Kembs, sont celles d’Ottmarsheim (1952), de Fessenheim (1956) et de Volgelgrun (1959). Les hauteurs des chutes des usines sont de 12 à 14m. Le Vieux-Rhin de cet aménagement d’ensemble constitue l’un des plus longs tronçons de grands fleuves court-circuités au monde. A son extrémité aval, il comporte depuis 1965 un « barrage agricole », celui de Breisach, d’une hauteur de chute de 5,5m, afin de relever le niveau de la nappe phréatique.

Pour éviter l’enfoncement du toit de la nappe phréatique, mais aussi pour donner à l’Allemagne un accès à la voie navigable, la poursuite de la canalisation vers l’aval se fit selon le principe des « festons ». Chaque feston, d’une longueur de 5 à 12 km, comporte une usine hydro-électrique (Marckolsheim en 1960, Rhinau en 1964, Gerstheim en 1967 et Strasbourg en 1971), un barrage de dérivation, comme à Schoenau, un bief d’amenée et un bief de fuite, tous deux canalisés, et entre lesquels sont placés l’usine hydro-électrique, la paire d’écluses, ainsi qu’un tronçon « court » de Vieux-Rhin court-circuité. La hauteur des chutes des usines est d’environ 13m. Entre chaque feston se trouve ainsi un tronçon de quelques kilomètres de lit rhénan unique canalisé, comme entre Marckolsheim et le barrage de Schoenau, permettant de relever la nappe et donnant à la rive droite un accès à la voie d’eau. Les espaces entre le lit canalisé et le Vieux-Rhin sont de nouvelles îles artificielles du Rhin, plus ou moins inondables. C’est le cas pour la réserve naturelle nationale entre Schoenau et Rhinau. Des seuils « agricoles » barrent aussi le Vieux-Rhin pour pallier l’abaissement du toit de la nappe phréatique (3 seuils entre Schoenau et Rhinau). Cependant ces aménagements ont fortement perturbé le fonctionnement alluvionnaire et l’envasement devant ces seuils est important.

En aval de Strasbourg, la poursuite de la canalisation ne fut que peu motivée par la production d’électricité supplémentaire car la réduction de la pente rendait celle-ci moins rentable. La poursuite de la canalisation fut toutefois décidée pour enrayer l’enfoncement du fleuve par érosion du fond, qui reprit à l’aval du feston de Strasbourg, comme ce fut le cas auparavant après la construction de chaque nouvelle usine. Par ailleurs, compte tenu de l’amélioration des relations franco-allemandes, on abandonna le principe des festons pour construire, de concert entre la France et l’Allemagne, dans le lit même du fleuve, dont on ne bétonna pas les berges sur ce linéaire, les usines de Gambsheim en 1974, et d’Iffezheim en 1977. La hauteur des chutes est d’environ 12 m.

Les dix usines hydro-électriques du linéaire franco-allemand produisent en moyenne 8,7 milliards de kWh/an, soit environ les deux tiers des besoins électriques de l’Alsace. Pour ce qui est de la navigation, les écluses permettent le transport par voie d’eau de 25 millions de tonnes de marchandises par an à Strasbourg, contre environ 11 millions de tonnes par an à Bâle.

 

Impact sur le fonctionnement du fleuve

L’ensemble des biefs canalisés, dont les berges furent bétonnées et le fond est essentiellement composé de galets et graviers, sauf localement au droit des usines et écluses, s’étend -en incluant l’emprise des digues et des chemins- sur environ 4500 ha. Le ban communal de Schoenau a ainsi été concerné sur près de 450 ha (digues, canalisation et île du Rhin).

Sur le linéaire canalisé de 160 km, le profil en long de la ligne d’eau est un morne escalier dont les marches correspondent aux retenues d’eau en amont des barrages et des usines hydroélectriques, qui en sont les contremarches. Les niveaux d’eau, maintenus artificiellement, ne sont plus corrélés au débit. Les vitesses sont relativement lentes, avec moins de 1 m/s, hors crues. Les digues rendent hélas aussi le fleuve inaccessible au regard des passants, ce qui contribue à rompre les multiples liens avec le fleuve.

La canalisation a interrompu le transit des sédiments grossiers (sables grossiers, graviers, galets) qui sont transportés au fond des lits des fleuves. Les faibles apports des affluents se déposent à l’amont des usines hydro-électriques et des barrages de dérivation, comme devant celui de Schoenau. Les éléments plus fins (sables moyens et fins, limons et argiles) ne peuvent plus fertiliser la forêt alluviale devenue non inondable. Ces sédiments fins se posent au fond du fleuve et constituent hélas des fixateurs-accumulateurs de polluants.

L’ensemble de ces modifications a eu un impact très fort sur le milieu aquatique et la faune piscicole à fortement décliné. Sur le plan hydrologique, l’impact majeur de la canalisation est l’amputation de 130km² de zones inondables. Comme ces espaces constituaient auparavant des stockages provisoires des eaux de crues, la canalisation augmenta le risque d’inondation en le déplaçant vers l’aval.

 

V - Le Rhin aujourd'hui et demain

Corriger les erreurs hydrologiques de la canalisation

Pour supprimer les effets hydrologiques négatifs induits par la canalisation et notamment pour rétablir les capacités d’écrêtement des crues, une convention franco-allemande a été signée en 1982. Elle vise à renforcer la sécurité des populations riveraines à l’aval du Rhin canalisé contre les plus grandes crues (200 ans), comme cela était le cas avant la canalisation.

Plusieurs mesures franco-allemandes ont été prises :

-        En rive gauche : arrêt du turbinage des usines EDF entre Bâle et Strasbourg afin de basculer les eaux du Rhin canalisé vers les tronçons du Vieux-Rhin, réalisation du polder d’Erstein et de la Moder.

-        En rive droite : adaptation lors des crues des lois de manœuvre des barrages agricoles de Strasbourg-Kehl et de Breisach pour stocker plus d’eau, aménagement de 16 polders dont ceux de Burkheim et de Wyhl-Weisweil, décaissement de la plaine alluviale en rive droite sur 43 km du Vieux-Rhin en amont de Breisach. L’ensemble de ces travaux devraient être achevés en 2038.

Les polders français et allemands ont également une vocation de restauration écologique, tout comme les décaissements de rive allemands, même si les objectifs de protection contre les crues prédominent.

Un demi-siècle de protection et de restauration

Un large éventail d’outils réglementaires a été mis en place sur le plan international et des actions entre les Etats sont discutées et pilotées au niveau de la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR). Le programme actuel « Rhin 2040 » vise particulièrement :

-        A rétablir la continuité piscicole longitudinale sur le Rhin et ses affluents pour que les migrateurs puissent atteindre les chutes naturelles du Rhin de Schaffhouse et les affluents suisses. La construction des différentes passes à poissons au niveau des usines hydro-électriques est en cours.

-        Augmenter les surfaces du lit majeur de 200 km², reconnecter 100 bras latéraux et diversifier la morphologie de 400 km de berges.

-        A améliorer la qualité de l’eau, notamment pour ce qui concerne les micro-polluants

-        Et à renforcer l’adaptation au changement climatique.

Les principales mesures de protection mises en œuvre le long du Rhin depuis la décennie 1970 sont les suivantes :

-        La création de 8 réserves naturelles nationales entre 1982 et 2020

-        L’émergence d’un plan de protection de la forêt rhénane, le classement de massifs boisés en forêt de protection, à la suite des accords de Marckolsheim en 1990 

-        L’inscription de nombreux sites au titre de Natura 2000, la promulgation de deux arrêtés de protection de biotopes, la création de trois réserves biologiques, etc.

Aux côtés de la Petite Camargue Alsacienne, de la Ville de Strasbourg, le Conservatoire d’espace naturels d’Alsace (CEN Alsace) gère le plus grand nombre de réserves (quatre).

Le schéma d’aménagement et de gestion des eaux « Ill-Nappe-Rhin » approuvé en 2004 a pour objectif de « garantir la qualité des eaux souterraines, de restaurer la qualité des cours d’eau en satisfaisant durablement les usages, d’assurer une cohérence globale entre les objectifs de protection contre les crues et la préservation des zones humides » et de restaurer les bras du Rhin.

Les gestionnaires français du Rhin ont élaboré, puis signé le 5 décembre 2019, un ambitieux programme d’actions : le plan « Rhin Vivant ». Ce programme porté par l’Etat, la région Grand Est, l’Agence de l’eau Rhin-Meuse et l’Office français de la biodiversité, porte sur une durée de 10 ans. L’ambition est de restaurer la fonctionnalité, la biodiversité et les paysages des milieux rhénans avec les services écosystémiques associés comme la bioclimatisation pendant les canicules, de renforcer l’adaptation des milieux au changement climatique et de renouer les liens sociaux entre la population et le fleuve ». C’est dans ce cadre que l’étude de restauration du massif forestier et alluvial de Marckolsheim à Schoenau a été lancé.

Le projet Rhinaissance est une étude de faisabilité relative à la renaturation du Vieux Rhin et de ses milieux alluviaux dans la réserve naturelle du Taubergiessen (Allemagne) et sur l’ile de Rhinau/Sundhouse/Schoenau (France) qui a abouti fin 2022. Cette étude constitue la phase préalable à la planification des mesures de renaturation.

L’Agence de l’eau a lancé l’appel à initiatives « J’ai un projet pour le Rhin », pour soutenir tout type d’action rapprochant les acteurs et les citoyens du fleuve, dans toutes ses dimensions. L’ensemble des panneaux pédagogiques présentés ici et l’accueil des visiteurs font partie de ce programme de financement.